Economie - Chapitre 1 - Qu'est-ce qu'un raisonnement économique ?

Publié le par entraides.over-blog.com

Robinson arrive sur son île

Il n’y a pas encore longtemps, on apprenait aux lycées qu’il existait deux types de biens : des biens rares et des biens libres. Les biens libres sont ceux qui sont « librement » à notre disponibilité, dont l’accès est gratuit et illimité. Les biens rares sont tous les autres, ceux qui existent en quantité limitée. Ainsi, quand Robinson Crusoë arrive sur son île, il dispose d’eau, d’air, de soleil en quantité illimitée. Pour le reste, c’est moins évident. S’il a pu sauvegarder quelques sacs de blé du naufrage de son navire, ces réserves sont limitées dans le temps et risquent de rapidement s’épuiser. Pour ce qui est de la végétation, du poisson, bois, etc., on peut croire que seul sur son île, tous ces biens sont à sa disposition en telle quantité qu’on peut les considérer comme des biens libres. Certes, mais leur exploitation nécessite du temps, et les heures qu’il passe à se construire un logis, il ne les passe pas à pêcher, chasser ou cueillir.

Dès lors qu’il doit faire des choix, Robinson doit faire un raisonnement économique. Comment doit-il utiliser ses ressources rares ? Le blé dont il dispose, doit-il le consommer dès à présent pour satisfaire ses besoins ou le planter sachant qu’il devra attendre quelques semaines voire quelques mois avant de pouvoir le consommer ? Son temps, comment doit-il l’utiliser ? Chasser, pêcher, construire ?

A chaque fois, on le devine, Robinson trouvera certainement des solutions intermédiaires. Par exemple, il consomme un tiers de son blé et les deux autres tiers, il les cultive pour pouvoir survivre à long terme. Il partage son temps entre les différentes activités nécessaires à sa survie : se nourrir, se loger, dormir, etc.

 

Vous me direz que Robinson est loin de nous et qu’au XXIe siècle, on ne se soucie plus de ces questions. Pas certain… Quotidiennement, nous faisons des choix. Au niveau microéconomique : dans une famille dont le budget n’est pas illimitée, on peut choisir d’acheter un écran plat « home cinéma » à 5000 € ou se payer de très belles vacances ; une entreprise, dont les ressources sont également limitées, peut choisir, pour augmenter sa production, d’investir ou d’embaucher. Il en est de même au niveau macroéconomique : l’Etat, dont les ressources sont limitées, peut choisir entre des dépenses d’aides sociales (pour parer à l’urgence), développer l’éducation, construire des nouvelles lignes de chemins de fer ou encore envoyer des satellites pour faire fonctionner les réseaux de communication. Dans certains pays, les impôts sont très élevés et du coup, l’Etat dépense beaucoup pour la population alors que dans d’autres, les impôts sont moins élevés mais ce sont les individus qui doivent davantage financer eux-mêmes leurs frais médicaux, leurs dépenses d’éducation, etc.

Que ce soit donc à l’échelle microéconomique (un ménage, une entreprise) ou à l’échelle macroéconomique (à l’échelle d’un pays), des choix sont quotidiennement faits sur la façon dont on utilise des ressources limitées. Ce sont des raisonnements économiques.

 

Tout choix apporte une satisfaction… mais a un coût !

Revenons à Robinson pour comprendre la suite. A part quelques biens libres (l’eau, l’air, le soleil), les ressources de Robinson sont limitées. Il a donc une contrainte, une contrainte de quantité (pour le blé) ou une contrainte de temps (pour les autres ressources).

Les économistes, de nos jours, considèrent que la principale contrainte, c’est le budget dont on dispose. On ne peut pas dépenser plus que ce que l’on a. Oui, je sais, c’est très réducteur. Il y a bien d’autres contraintes, mais si l’on considère que tout se paye, toute contrainte peut se résumer sous forme d’une contrainte de revenu. Par exemple, imaginons que dans un pays, on ait besoin d’hommes forts et intelligents. Si les hommes forts et intelligents sont rares, ils coûteront très cher. S’il y a peu de pétrole, il coûtera cher ; si demain on découvre de nouvelles ressources extraordinaires qui assureront nos besoins énergétiques pour les 1000 années à venir, le prix du pétrole va chuter. Du coup, cela va agir directement sur notre pouvoir d’achat et donc notre budget.

La rareté du monde se résume donc dans une contrainte budgétaire.

 

Ensuite Robinson va faire des choix pour satisfaire ses besoins, pour dire clairement les choses pour satisfaire son bien-être. Cette satisfaction, les économistes l’appelle l’utilité. La construction d’un logis apportera à Robinson confort et sécurité, la consommation immédiate de son blé va résorber sa faim, la chasse va satisfaire le goût qu’il a pour la viande, ne rien faire va satisfaire son envie de paresser. A chaque fois qu’il fait un choix, Robinson satisfait un besoin, ce choix lui apporte une utilité.

Mais chaque choix a un coût ! Un coût direct : s’il mange son blé, il épuise ses ressources en blé pour l’avenir (il ne pourra pas en manger plus tard… un peu comme dans le choix entre le home cinéma et les vacances) ; s’il décide de ne rien faire, il ne pourra pas chasser, cultiver, etc. Mais pendant qu’il cultive, il ne se repose pas, ne chasse pas, etc. Bref, chaque choix satisfait un besoin mais s’accompagne du renoncement à autre chose. Robinson aimerait se reposer, avoir de la viande, du poisson, du pain, un logis chaud et confortable, tout ça en même temps et sans le moindre effort. Mais comme ses ressources sont limitées, pour avoir l’un de ces éléments, il doit rogner sur autre chose. Ça lui coûte, ça l’attriste mais il sait que pour manger, il doit renoncer au repos. Ce coût du renoncement, les économistes l’appelle coût d’opportunité. Toute opportunité à un coût, il faut donc arbitrer, faire des choix, on y revient !

 

Résumons. Etudier un comportement économique, c’est étudier des choix individuels ou collectifs. Ces choix sont limités par des contraintes dans la mesure où les ressources sont limitées. C’est ce qu’on appelle la contrainte budgétaire. Chaque choix apporte une satisfaction qu’on appelle utilité mais a un coût d’opportunité, c'est-à-dire qu’il se traduit par le renoncement à quelque chose.

 

Utilité marginale décroissante et maximisation

Revenons à Robinson, une fois encore. Pour satisfaire ses besoins en protéines, il a le choix entre la viande ou le poisson. Il dispose de 3 heures par jours pour chasser ou pêcher. S’il déteste le poisson ou la viande, son choix sera simple, il s’orientera vers la seule activité qui lui garantit de la satisfaction. Mais, manque de chance, il aime les deux, pas de façon totalement identique, il préfère un peu la viande. Le problème, c’est que s’il ne mange que de la viande, au bout d’un moment, il en a marre. Cela signifie que l’utilité supplémentaire que lui apporte la consommation d’un morceau de viande supplémentaire est de moins en moins grande.

C’est quelque chose d’assez facile à comprendre. Lorsque l’on va manger dans les restaurants avec buffet à volonté, vide-t-on le restaurant ? Non ! La première assiette satisfait une grosse faim ; la deuxième juste pour la gourmandise mais on sent déjà qu’elle n’apporte pas autant de plaisir que la première ; la troisième, c’est celle de trop, juste histoire de se dire d’en avoir pour son argent, celle qui éventuellement va vous rendre malade.

L’utilité de la première assiette est très importante ; celle de la deuxième est bien moindre ; celle de la troisième est quasiment nulle. Traduit en termes économiques, ça se dit : l’utilité marginale (l’utilité d’une unité supplémentaire consommée) est décroissante (est de moins en moins grande).

 

Du coup, le choix de Robinson va être de tenter de trouver un équilibre entre avoir suffisamment de poisson et de viande pour satisfaire ses besoins et ses goûts sans avoir trop de l’un ou de l’autre parce que la satisfaction supplémentaire que ça apporterait serait quasiment nulle. Robinson va donc chercher à maximiser son utilité, à trouver le meilleur équilibre entre poisson et viande, compte tenu de ses goûts et du temps qu’il a à consacrer à la chasse et à la pêche.

 

Le raisonnement économique consiste donc à comprendre des choix réfléchis, rationnels, qui, en théorie, « pèsent » et comparent le coût d’une opportunité, d’un choix effectué, et l’avantage (l’utilité) que cette opportunité, que ce choix vont procurer. Ce modèle est un modèle de base (celui de l'homo oeconomicus, individu virtuel calculateur, intéressé et égoïste) qui repose sur certaines hypothèses critiquables, certes (est-ce que nos choix sont rationnels ?  l’utilité d’un choix n’est-elle pas variable selon le moment, le temps, l’urgence, le contexte ? ce choix conduit-il toujours à la solution la meilleure ?), mais qui permet de comprendre au départ ce qu’est un raisonnement économique. Nous sommes confrontés en tant qu’individus mais aussi en tant que société à des choix avec des avantages attendus, espérés, mais aussi à des contraintes. Le souci des économistes, c’est de comprendre ces choix et essayer d’envisager quels peuvent être les meilleurs. Et bien entendu, comme tout cela est incertain, rien n’assure que tout fonctionnera comme les économistes l’avaient envisagé. Les économistes sont donc des gens qui passent leur temps à expliquer pourquoi ils se sont trompés ! (dixit l’économiste B. Maris)

 


POUR ALLER PLUS LOIN

Un exemple de raisonnement économique appliqué à l’orientation scolaire

Certains sociologues utilisent un raisonnement économique pour étudier un phénomène social. Ainsi, en 1973, le sociologue français Raymond Boudon, dans L’inégalité des chances, explique une partie des inégalités scolaires à partir d’un raisonnement qui s’apparente à un raisonnement économique. Comment se fait-il que dans une société démocratique, où des réformes successives ont lieu pour réduire les inégalités face à l’enseignement, l’origine sociale est encore un facteur déterminant dans la réussite scolaire ?

Pour répondre à cette question, R. Boudon utilise un raisonnement qui s’apparente à celui d’un économiste. Lorsqu’un enfant désire suivre des études, ses parents font un choix qui dépend de deux choses : le coût des études et leur utilité (l’avantage que ça va apporter en termes de futur statut social).

Néanmoins en fonction de leurs revenus, mais aussi de leur propre niveau d’études, les parents ne vont pas estimer de la même façon l’utilité marginale des études, l’avantage social qu’apporte une année d’études supplémentaire, et le coût marginal de cette année d’étude supplémentaire. Globalement, les familles riches financièrement et/ou culturellement ont tendance à sous-estimer le coût et à surestimer l’avantage. Autrement dit, quand on a soi-même fait des études et/ou que l’on gagne bien sa vie, on se dit qu’une année d’étude supplémentaire peut rapporter gros, permettre d’avoir vraiment un meilleur boulot, même si ça coûte de l’argent. Du coup, on pousse toujours ses enfants vers « le haut ». A l’opposé, quand on a des difficultés financières, qu’on n’a pas fait soi-même des études et que notre enfant arrive au niveau bac+3 par exemple, on va se demander à quoi bon continuer, on se demande ce qu’un an de plus va vraiment apporter alors qu’on a déjà fait beaucoup de sacrifices. Du coup, on hésite à ses enfants à aller plus loin.

On retrouve donc bien ici les trois éléments du raisonnement économique : le choix, le coût et l’avantage (ou l’utilité) et enfin l’idée que l’utilité marginale est décroissante (après 3 ou 4 années d’études après le bac, on a tendance à se demander à quoi bon en faire une supplémentaire).

 

Sommes-nous que des homo oeconomicus ?

Un exemple très intéressant proposé par Daniel Cohen dans son dernier ouvrage (Homo oeconomicus, prophète (égaré) des temps nouveaux, éd. Albin Michel) nous montre que nous ne sommes pas que des homo oeconomicus : un centre de transfusion sanguine américain, pour attirer les donneurs, décide de les payer. Grande surprise : le résultat fut complètement l'inverse. Cohen considère qu'il y a deux individus en nous, un individu économiquement intéressé qui cherche à satisfaire des besoins immédiats et un individu moral, qui cherche à satisfaire de besoins plus profonds. Le problème, c'est que ces individus ne sont pas assis à la même table. En payant les généreux donneurs de sang, le centre de transfusion les a transformés en avides homo oeconomicus, réclamant toujours des primes plus élevées pour marchander leur sang.

 

Autre exemple très connu, celui de la sélection adverse que beaucoup d'économistes étudièrent dans les années 1970 (Stiglitz, Akerlof...). Un exemple est très révélateur : dans une fromagerie, on a pris une meule de fromage que l'on a coupé en 2 morceaux : un morceau qu'on a mis en solde (premir prix) et un autre qu'on a mis au prix fort. Quelle est la partie qui a été vendue en premier ? En réalité, le prix est un signe et très souvent, nous ne cherchons pas à acheter au prix le plus faible en nous disant qu'en payant un peu plus cher, on a un gage de qualité, on se fera plaisir. Allons un peu plus loin : si je suis invité chez des amis et que j'apporte le dessert, vais-je prendre le gâteau le moins cher ? certainement pas. En y mettant le prix, je m'assure une meilleure qualité mais je fais preuve aussi de générosité vis-à-vis de mes amis.

 

pas certain, par conséquent, que de façon rationnelle, nous cherchions toujours à maximiser notre utilité à moindre coût !

 

Une critique radicale du raisonnement économique

En affirmant que l’économie est la science des choix, on accepte l’idée que l’enrichissement de certaines personnes ou de certaines sociétés est lié à des choix judicieux. Choix / coût / avantage… ce raisonnement signifie implicitement beaucoup de choses : je suis riche, j’ai fait les bons choix au bon moment ; je suis au chômage, je préfère l’oisiveté au travail ; je ne fais pas d’études, j’y ai renoncé estimant que ça coûte trop cher par rapport à ce que ça rapporte. La société ne serait que le résultat de choix individuels. Le sociologue français Pierre Bourdieu a vivement critiqué un tel raisonnement. Selon lui, on nie ainsi littéralement le « jeu social », le fait qu’il y a dans la société des personnes avantagées, « dominantes » et d’autres qui sont désavantagées. Bien entendu, les dominants font tout pour garder leur statut et pour le légitimer, le justifier… en cela, le raisonnement économique est très pratique et masque bien des injustices. 

Publié dans Première

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