Chapitre 2 : Croissance, investissement, progrès technique (1)

Publié le par entraides.over-blog.com

 

PREMIERE PARTIE : l’investissement

L'investissement est essentiel pour les économistes. Il stimule la croissance.

D'abord, il permet d'acquérir de nouvelles capacités de production, il stimule donc l'offre.

Ensuite, investir, c'est acheter des machines à d'autres entreprises. C'est donc une forme de demande.

Qu'on soit libéral ou keynésien, théoricien de l'offre ou de la demande, on reconnaît donc son impact essentiel sur l'activité économique.

 

L’investissement, une notion plus complexe qu’elle n’y paraît

A priori, définir l’investissement est assez simple : c’est l’acquisition d’un capital productif. On achète des machines, des locaux, des véhicules qui permettent d’accroître la production. C’est la FBCF (Formation Brute de Capital Fixe) qui pour l’essentiel mesure l’investissement au niveau d’un pays. Cet agrégat comptabilise essentiellement l’investissement matériel. Seul l’achat de logiciel est comptabilisé comme forme d’investissement immatériel.

 

Cependant, cette mesure n’est pas totalement satisfaisante pour un économiste. Pourquoi ? Les économistes ont une conception autre de l’investissement qui n’est pas seulement comptable. Pour eux, l’investissement est un détour de production (définition de l’économiste autrichien Eugen von Böhm Bawerk – 1851-1914). L’idée est la suivante : on va prendre du temps et de l’argent pour obtenir ce dont on a besoin et cela va nous permettre, à terme, de produire beaucoup plus. Böhm Bawerk prend l’image d’un paysan qui a besoin d’eau. Il peut aller à la source à chaque fois qu’il a soif ou qu’il veut arroser une fleur. Mais il peut aussi construire un seau, une canalisation, etc. Bien entendu, ça va lui prendre du temps, de l’argent. Il va même devoir renoncer à l’utilisation immédiate de son eau, mais en construisant des outils de production, il aura, à terme, un accès plus facile, plus rapide, plus important à l’eau. Ce renoncement à court terme lui permet, à long terme, de disposer de bien plus.

 

Actualisons cette idée. L’entreprise génère des profits et peut les distribuer directement aux propriétaires du capital sous forme de revenus. Néanmoins, elle peut aussi décider de les payer plus tard et d’utiliser ces profits pour faire des dépenses qui à terme vont permettre de produire bien plus et donc de générer davantage de revenus.

On voit bien, dans cette perspective, que l’achat d’une machine, d’un local ou d’un véhicule pour une entreprise est bien un détour de production, donc un investissement. Néanmoins, certaines dépenses sont comptabilisées dans les consommations intermédiaires (je finance une campagne de publicité) ou même dans la masse salariale (je forme mes salariés) et dans les deux cas, il s’agit bien d’un détour de production : je fais un effort financier à court terme pour que ça rapporte plus à l’entreprise à long terme. C’est donc bien de l’investissement au sens économique mais qui n’est pas comptabilisé comme de l’investissement par la comptabilité nationale.

 

Pire, on sait qu’aujourd’hui, pour garantir leur compétitivité, les dépenses immatérielles des entreprises vont croissant : communication, formation, recherche, publicité. C’est ce qu’on appelle la « dématérialisation de l’investissement ». Or ces dépenses ne sont pas intégrées dans la FBCF.

 

C’est pourquoi vous devez bien être vigilants aux intitulés des sujets : de quelle forme d’investissement parle-t-on ? Matériel ? La FBCF ? Ou l’investissement en général et dans ce cas, vous devez prendre en compte – en le justifiant – l’investissement immatériel même si ce n’est pas de l’investissement au sens comptable du terme.

 

Trois grandes formes d’investissement matériel

On distingue généralement trois grandes formes d’investissement matériel :

-          L’investissement de remplacement : on remplace le capital usé (c’est de l’amortissement) ;

-          L’investissement de capacité : on augmente le stock de capital (avec plus de machines, on produit davantage)

-          L’investissement de productivité : on intègre au capital du progrès technique ce qui permet d’accroître la productivité.

 

Cette distinction est relativement arbitraire : très souvent, quand je remplace mon capital ou que j’en acquiers du nouveau, il est plus « moderne », plus performant que l’ancien, il a incorporé du progrès technique. C’est donc à la fois un investissement de productivité et de remplacement ou de capacité.

Du coup, on voit bien qu’investissement et innovation sont souvent liés. Lorsque je fais l’acquisition d’un capital plus moderne, c’est à la fois un investissement et une innovation (de procédé)

 

Attention : ne pas confondre investissement et placement

Très souvent, dans le langage courant, on entend dire que des individus « investissent » en plaçant leur argent à la bourse ou sur un compte épargne rémunéré. C’est un abus de langage. Pour qu’on parle d’investissement, il faut bien qu’il y ait un objectif productif. Si une entreprise achète des actions pour faire fructifier son épargne, c’est un placement. Par contre, si elle fait l’acquisition d’une autre entreprise (en achetant ses actions) pour conquérir un nouveau marché ou posséder le savoir-faire de cette entreprise, là, il s’agit bien d’un objectif productif. On pourra alors parler d’investissement.

 

Les déterminants de l’investissement

Pas d’angélisme ! Une entreprise capitaliste a pour objectif de faire du profit et de faire fructifier son capital. Autrement dit, lorsqu’une entreprise investit, elle cherche à générer du profit. C’est pourquoi la part des profits dans la valeur ajoutée (le taux de marge) ou le profit généré pour un investissement donné (le taux de rentabilité économique) est le premier indicateur qui pousse une entreprise à investir. Si elle génère de la marge – du profit – elle pourra :

-          Epargner pour financer ses investissements

-          Montrer qu’elle est en mesure de rembourser ses dettes si elle emprunte de l’argent

-          Promettre aux actionnaires des dividendes juteux si elle doit émettre de nouvelles actions.

Tout cela va donc dans le même sens, pour qu’une entreprise investisse, il faut qu’elle fasse des profits (cf. le théorème de Schmidt « les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain »).

 

Néanmoins, cette règle ne se vérifie pas toujours. A la fin des années 1970, au niveau macro-économique, la part des profits (l’EBE) dans le PIB a diminué et l’investissement a diminué également. Néanmoins, avec la mise en place de la politique de rigueur à partir de 1982-83, le taux de marge a augmenté sensiblement jusqu’au début des années 1990 et la part de l’investissement dans le PIB n’a pas augmenté pour autant. Les profits ne sont donc pas le seul élément qui détermine l’investissement.

Durant cette période, l’inflation a fortement diminué de telle sorte que les taux d’intérêt réels ont fortement augmenté. C’est donc le deuxième élément qui détermine l’investissement : le niveau des taux d’intérêts réels.

 

Quand on parle des taux d’intérêts, de quoi parle-t-on ?

D’abord des taux d’intérêts à court terme, ceux auxquels les banques se refinancent sur le marché interbancaire ou auprès de la banque centrale. Si ces taux sont élevés, les banques vont augmenter leur taux de base bancaire, le taux auquel elles prêtent à leur meilleur client. Faire un crédit coûtera plus cher et par conséquent, les entreprises n’emprunteront pas pour investir. Pire, au début des années 1990, elles utilisaient leurs profits pour rembourser prématurément leurs crédits, pour se désendetter parce qu’ils représentaient une charge financière trop lourde.

Ensuite, les taux à long terme, c’est-à-dire les taux auquel les entreprises empruntent sur le marché des obligations. Celui-ci dépend du rapport entre l’offre d’épargne et de crédit. La mécanique est la même : si les taux d’intérêt sont élevés, les agents économiques hésitent à investir parce que ça leur coûte trop cher.

 

Pourquoi parle-t-on de taux d’intérêt réels ?

Lorsque j’achète un bien à crédit, le taux d’intérêt représente le surcoût supplémentaire que représente l’acquisition de ce bien. Par exemple, si j’achète une machine 200000 € avec un taux d’intérêt à 5% sur 1 année, elle me coûtera en réalité 210000 €. La banque me fait payer le crédit, elle me permet d’avoir ma machine immédiatement et ne pas avoir à épargner pendant 1 an pour pouvoir l’acheter (certains économistes disent que le taux d’intérêt, c’est le coût du temps… on comprend pourquoi !).

Néanmoins, les prix augmentent, ma machine va progressivement prendre de la valeur. Imaginons qu’elle prenne 10% dans l’année, au bout de 1 an, elle vaudra 220000 €. J’aurai donc acheté une machine 210000 € alors qu’elle en vaut 220000 ! J’ai fait une superbe affaire !

Si l’inflation n’avait été que de 2%, au bout d’un an, le prix de ma machine aurait été 204000 €. J’aurais donc acheté 210000 € une machine qui n’en vaut que 204000 ! Mauvaise affaire !

C’est pourquoi les économistes raisonnent toujours en termes de taux d’intérêt réels, c’est-à-dire les taux d’intérêt nominaux auxquels on a soustrait l’inflation.

 

Taux de rentabilité économique – taux d’intérêt réel = profitabilité

En réalité, l’entreprise tient compte de ces deux éléments : taux de marge (TM – les profits potentiels que va m’apporter mon investissement) et les taux d’intérêt réels (TIR – ce que va me coûter mon investissement). Si le TIR diminue, mon TM devient relativement plus intéressant. On dit que la profitabilité de mon investissement augmente, mon investissement devient plus profitable, je vais donc investir. C’est ce qu’on appelle l’effet de levier.

Si  le TIR augmente, mon TM devient relativement moins intéressant. On dit que la profitabilité de mon investissement diminue, mon investissement devient moins profitable, je ne vais donc pas investir. C’est ce qu’on appelle l’effet de massue.

Durant les années 1980, les TIR sont élevés, ce qui explique la faiblesse de l’investissement. Mais à partir de 1992-93, les TIR diminuent et le TM des entreprises est élevé. Pourtant, l’investissement ne  reprend pas. Pourquoi ?

Il existe un troisième facteur qui détermine l’investissement ! Le niveau de la demande. Si les entreprises ont une demande importante, des carnets de commandes gonflés à bloc, elles ont toutes les raisons d’investir. Si par contre les commandes sont faibles, elles n’ont aucune raison d’investir.

 

Tout cela est une affaire de moral

Le problème, c’est que l’avenir est incertain. Au moment où j’investis, je ne sais jamais si mes futurs clients seront nombreux ou non. Je peux tout au plus l’estimer, mais cette estimation dépend largement de mon moral, de mon état psychologique. Si j’ai le moral dans les chaussettes, si la radio annonce que les français sont moroses, qu’ils veulent reporter à plus tard leurs dépenses, je ne vais pas investir. Donc les entreprises qui fabriquent mes outils de production (mon investissement) ne vont pas avoir de clients. Elles vont donc renoncer elles aussi à investir, etc. Tout le monde est pessimiste et comme personne n’investit, il n’y a pas d’activité, ni de croissance… tout le monde avait raison d’être pessimiste.

A l’opposé, si un vent d’optimisme embrase l’économie, si la radio annonce que les Français sont heureux, qu’ils veulent partir en vacances, acheter plein de choses pour Noël, je vais investir. L’entreprise qui me fournit mes machines va investir pour les fabriquer, etc. Tout le monde est optimiste et comme tout le monde investir, il y a de l’activité et de la croissance… et tout le monde avait raison d’être optimiste.

Les agents économiques ajustent souvent leurs comportements à leur état psychologique et cet ajustement contribue à construire la situation qu’ils avaient anticipée. C’est ce que les économistes appellent les anticipations autoréalisatrices.

 

Pour ceux qui veulent aller plus loin, j’avais fait il y a quelques années un document sur la rentabilité financière disponible ici.

Publié dans Terminale

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article